Je suis rassurée d'apprendre que ce tiroir n'est aucunement la place attitrée de ce cadre. Tant mieux, même si cela signifie que la raison de cette ignoble condamnation vient de ma présence ici… Ou plutôt de l'utilisation du canapé.

Soupirant d'un air désolé, je lui avoue ne rien avoir à raconter en échange de ses histoires. Persuadé du contraire, il me donne son propre point de vue quant à sa vision des autres.

– Non. Aussi étrange que cela puisse paraître, il ne m'est jamais rien arrivé de très intéressant.

Il y a cette fois où mon pneu a crevé en plein désert lorsque je me trouvais seule sur la route de Vegas… J'ai changé la roue et j'ai repris la route comme si de rien n'était. J'ai participé ou assisté à de très nombreux concerts franchement géniaux. J’ai bossé dans des bars plus ou moins fréquentables, mais là encore… Il ne m'est rien arrivé d'extraordinaire. Ma vie est d'un ennui sans nom… C'est justement pour cette raison que je me laisse aussi vite de tout.

– Mon regard doit être particulièrement vide, dans ce cas, dis-je en ouvrant grand les yeux avant d'éclater de rire.

Je m'allonge à mon tour, relevant mon oreiller en le tenant à bout de bras. J'essaie de me souvenir des gens que j'ai pu rencontrer, certains étaient intéressants. Beaucoup de vadrouilleurs aiment raconter leur histoire, même si je suspecte certains d'exagérer les choses…

– Non… Je n'ai strictement rien de croustillant à raconter… Un jour, peut-être…

– Plein ? répété-je, mi surprise, mi intriguée.

“Plein de trop de choses”, voilà une étrange affirmation, plus particulièrement venant d'un type qui me connaît à peine.

– Instable et indécise donc ? conclus-je en riant, consciente qu'il me serait bien impossible de nier ce fait. Oui, c'est tout à fait ce que l'on me reproche en général, ajouté-je, sourire aux lèvres.
– Je saurais le faire parler, ce regard, si on me laissait faire.

Ne me demandez pas pourquoi, mais je suis en train de l'imaginer faire un numéro de ventriloque des plus étranges. Je sais bien qu'il parle de photos, je ne suis pas stupide… Mais j'ai beaucoup trop d'imagination.

– Je confirme, qu’ils ne sont pas vides ces yeux ! Il y a au moins un désir de vengeance ! affirme-t-il avant de me faire tomber l'oreiller sur la face…Je me redresse aussitôt.
– Mais quelle saleté, dis-je tout en récupérant le projectile pour l'attaquer à mon tour… Hors de question néanmoins de lâcher l'objet du délit. Je préfère le garder en main pour le frapper à plusieurs reprises.

– Espèce de traître ! Tu devrais avoir honte de t'attaquer à une pauvre fille sans défense!

Il encaisse jusqu'à se retrouver au sol avant de détaler dans sa chambre. Oh, bien-sûr, je me doute qu'il n'est pas en train de fuir, mais bien de partir à la recherche d'un autre oreiller. Pour ma part, je file me cacher derrière le fauteuil sur lequel repose mon sac. De là, je peux aisément apercevoir le couloir au bout duquel se trouve sa chambre.

Toujours dissimulée derrière l'imposant dossier, je récupère quelques paires de chaussettes propres que je roule en boule. Hors de question de lancer l'oreiller et de prendre le risque de casser quelque chose.

Il est trois heure du matin, et nous voilà lancés dans une bataille d'oreillers… Je plains sincèrement les voisins.

Je promets de ne plus jamais me moquer des goûts horribles de mon frère pour le mobilier, ce fauteuil est parfait. De là où je me trouve, rien ne peut m'échapper. Je le laisse donc avancer jusqu'à la cuisine. Je patiente jusqu'à ce qu'il se tourne vers cette dernière et : pouf, le premier projectile atteint sa cible. Enfin… Presque, puisque je visais la tête. Tant pis, je saurais me satisfaire de cette mini victoire.

Je l'entends protester et j'éclate de rire.

– Oui mais tu es plus grand et plus fort que moi… Et tu as deux oreillers en prime !

Je lance une seconde paire de chaussettes, puis une troisième… Je suis vite à court de munitions, forcément…Les autres se trouvant dans le coffre de ma voiture avec le reste de mon linge propre. La tuile.

Privée de mes armes de jet, je sors rapidement de ma cachette en contournant la table basse… Dans le doute, je prends quand même la peine de coucher le fameux cadre pour lui éviter un malheureux accident.

Si je parviens à esquiver le premier oreiller, ce n'est absolument pas le cas pour le second. Ce dernier m'atteint en plein dans la tempe.

– Et c'est toi qui parle de triche, dis-je avant de lui faire un placage magistral nous conduisant tous deux sur le lit.

Ouais, ok, j'ai pas vraiment réfléchi. Je suis une grande gamine après tout… J'agis et je réfléchis après… Pour l'heure, je suis assise sur lui et lui assène plusieurs coups d'oreillers en riant comme une idiote, ponctuant chaque coup de “prend ça”, “et ça”.