Les minutes passent et je ne vois toujours personne arriver … Bizarre. Peut-être a-t-il eu du mal à trouver l'endroit. Je me décide à l'appeler et je remarque que je n'ai pas reçu le fameux message… Je suis pourtant sûre de l'avoir vu l'envoyer. À moins que je me sois trompée en lui donnant mon numéro. C'est possible puisque j'ai la fâcheuse tendance à inverser les nombres. Je ne le fais pas exprès, c'est mon cerveau qui est monté à l'envers… Ou alors ce sont juste les chiffres qui ne m'aiment pas.

Quinze minutes après, je le vois arriver. Je m'attends à l'entendre pester, à pointer mon erreur du doigt… Mais non. Il s'excuse pour le retard et prétend avoir eu du mal à me trouver…

– Je me suis trompée dans mon numéro téléphone ET dans le numéro de la rue, c'est ça ? lui demandé-je en affichant une mine désolée. Pardon, j'ai un souci avec les chiffres et c'est encore pire quand je suis fatiguée … J'espère que tu n'as pas atterris dans un endroit trop craignos…

Techniquement, dans ce quartier, il n'y a rien de bien cringe. Quelques boutiques de fringues fermées, un café, un restaurant indien, une librairie …

Bref.

– C'était un peu mon repaire avant que je ne quitte la ville. J'adore cet endroit, dis-je en ouvrant la porte.

A peine sommes-nous entrés que nous voilà déjà assaillis de lumières colorées et de vieilles musiques électroniques provenant des diverses machines.

– Tu es prêt ? lui lancé-je en sortant mon billet de cinquante dollars prêt à être converti en jetons dorés.

Je n'ai plus qu'à le guider dans les allées jusqu'à ce que je tombe sur LA machine… Mon jeu préféré.

– Street Fighter, un classique… Ça te dit ?

Sauf si en vrai, tu t’appelles Stan, oui, il est possible que je n’ai pas le bon numéro. Pouffais-je alors qu’elle semblait toute désolée. Pour ce qui est du lieu où j’ai atterri… J’ai un peu bugué, vu l’insistance avec laquelle tu m’as certifié que c’était bien la bonne adresse. Souriais-je en lui tendant le papier sur lequel était son écriture. Tiens, je te laisserai vérifier, même si le plus important, c'est que je t’ai retrouvé. Raillais-je avant de la suivre.

L’ambiance du lieu nous plonge directement dans les années 80, début 90. Entre la musique électronique et les spots multicolors, on se croirait presque sur une piste de danse electro-disco. Certains diraient que c’est très ringard, les puristes diront que c’est rétro.
J’affiche un grand sourire satisfait, jetant un regard circulaire et brillant partout alentour.

Je comprends ! C’est génial comme repaire ! Lançais-je sans masquer mon émerveillement. J’aurais adooooh ! Ils ont un distributeur d’appareils photos jetables ! M’exclamais-je en pointant la machine du doigt avant de l’observer, brandir son billet. Oh que oui, je suis prêt !

Après avoir fait un passage par la caisse et, naturellement, par le distributeur d’appareils photos, elle m’entraine vers une borne du légendaire Street Fighter.

Ca me va, mais après s’être mis sur la tronche, on s’allie pour un Time Crisis ! Dis-je tout en remontant la molette de l’appareil. Lui montrant la petite boîte à images, je compte bien ne pas faire deux fois la même erreur.

Je peux te photographier dans ton repaire ?

–Stan ? je répète en affichant un large sourire amusé. J'ai dû te donner mon ancien numéro du vendredi entre minuit et cinq heures. Je ne l'utilise plus trop vu que je bosse le vendredi soir maintenant, j'ajoute en haussant les épaules.

Lorsqu'il me tend le papier contenant l'adresse que je lui ai donné, je comprends qu'il a effectivement dû se retrouver dans un lieu bizarre… Et connaissant plutôt bien le quartier, je crois savoir où il est tombé.

– As-tu salué Natacha ? C'est la gérante, je lui demande en rangeant le papier dans la poche de mon jean. Elle est très gentille… je lui fais un clin d'œil avant de l'entraîner dans les allées.

Petite précision, juste pour vous, au cas où : je ne connais aucune Natacha, mais j'aime bien le taquiner.

Je lui présente donc l'un de mes endroits préférés dans cette ville. Celui-là même qui a fait fuir deux ou trois garçons avant lui… Mais j'étais sûre que ça lui plairait, allez savoir pourquoi. Le lieux est exagérément bruyant, coloré à outrance et mieux vaut éviter de s'y balader quand on est épileptique, mais je l'adore… Même si, techniquement, je ne suis pas de la génération à qui une telle ambiance peut réellement parler. C'est pas le plus important en sachant que j'estime ne pas être née dans la bonne décennie. Je suis sûre que j'aurais adoré vivre dans les années quatre-vingt… Certaine même. Et visiblement, je ne suis pas la seule…

Matthew se précipite aussitôt vers un vieux distributeur d'appareil photo jetable. Je grimace, bien-sûr, plus par anticipation qu'autre chose. Et je me demande, très sérieusement, s'il existe encore des endroits où l'on peut faire développer des pellicules argentiques…

–Ca me va, mais après s’être mis sur la tronche, on s’allie pour un Time Crisis !
– Ah les mecs et les flingues… Une grande histoire d'amour. je pouffe. Mais ça ne m'arrange pas… Pour moi, tout l'intérêt de ce genre de jeux est de se mesurer à l'autre… Oui, j'ai l'esprit de compétition.

Puis il me montre sa dernière trouvaille…

– Je peux te photographier dans ton repaire ?
–Hm… Nan. Je n'aime que les photos sur lesquelles je n'apparaît pas et… C'est non négociable.

Non, je n’ai salué personne, je ne suis pas entré dans cette boutique. Tu te serais probablement retrouvé avec une bricole sinon. Pouffais-je avant de la suivre.

L’endroit est stroboscopique au possible mais j’adore ce style d’ambiance. On est vraiment dans les années 80, la folie de l’électro, des écrans, les bornes et leurs sons en 8 bits. Il y a, au fond, un comptoir pour servir des boissons et des encas et un espace spécial pour un DJ à l’ancienne. La seule véritable différence avec une boîte de nuit c’est que l’espace de danse est minuscule et que la majorité de la salle est occupée de dizaines de bornes d’arcade.

Je souris à sa réflexion sur les flingues. Ayant peu trainé dans ce genre d’endroits, mes parents avaient cela en horreur, Time Crisis était l’un des rares jeux auquel j’avais pu avoir accès. Les rares fois où j’avais quelques pièces à mettre dans une borne, cela finissait là.

Aucun problème pour ne faire que de s’affronter, je demande juste une partie, que j’ai l’impression de gagner un peu. J’adore ce genre de lieux, mais j’y ai assez peu trainé, donc tu risques de m’éclater pas mal. Raillais-je avant de dresser un doigt vindicatif. Mais attention, je vendrai cher ma peau !

Ensuite, elle refusait que je la prenne en photo, ce qui ne m’étonnait guère. Je confirmais donc qu’elle ne serait reconnaissable sur aucune des vingt-quatre photos de cet appareil avant que l’on Insert a Coin dans la machine qu’elle avait choisie.
Sans aucune surprise, elle me dégomme à la chaîne malgré mon extraordinaire maitrise du spamming de boutons.

Les minutes s'écoulent et nous enchaînons les parties de jeux multiples et variés, histoire de lui assurer quelques victoires sans que je n'ai besoin de le laisser gagner. J'ai toujours détesté cette manœuvre que j'associe à de la pitié. Comme si l'autre n'était pas capable de se débrouiller seul. Je trouve cela stupide et incroyablement injuste pour l'ego de l'adversaire. Certains peuvent s'y complaire, certes, mais je refuse tout bêtement de participer à ce genre de tentative de flatterie purement grotesque.

Alors non, quand Matthew gagne, il gagne vraiment. Et même si j'ai effectivement un sacré esprit de compétition, je ne suis pas mauvaise perdante pour autant. Au contraire, je reste fair-play en toute circonstance et tiens à le féliciter joyeusement.

Vers vingt-et-une heure, mon estomac décide finalement de se manifester bruyamment. Je n'ai pas mangé grand-chose durant la journée après tout.

– Ça te dit de rester le restau d'à côté ? Cuisine épicée garantie…

Je me suis pris la raclée de ma vie sur Street Fighter. Ce fut à un point tel qu’elle me mettait KO que je touche ou non aux boutons.
Je réussi à montrer que je n’étais pas un nul complet lors de deux parties de Time Crisis, mais elle me détruisit une nouvelle fois sur Ninja Warriors. Heureusement, il y avait Shadows Warriors sur lequel je réussis à rééquilibrer un peu les scores.

Ahaah ! Tu l’avais pas vu venir celui-là ! M’exclamais-je après avoir réussi à vaincre ce redoutable adversaire qu’était Hailey.

Bon, force est de reconnaître que, malgré quelques victoires, je restais largement perdant. Cela dit, j’étais ravi de ce moment avec elle. J’y avais découvert une jeune femme passionnée, mais au fair-play sans faille. Elle se trouvait être un véritable adversaire qui ne faisait pas de cadeau, mais qui n’hésitait pas à me féliciter avec joie lorsque je lui mettais une petite victoire.

De mon côté, j’avais utilisé la pellicule de mon appareil en mettant en scène des doigts sur fond d’écran cathodique colorés.

Finalement, elle me proposait le restaurant d’à côté, promettant quelque chose d’épicé.

Aller, en bon perdant, c’est moi qui offre ! Lançais-je à Hailey. Je te suis !

Je mentirais en affirmant que je ne passe pas un bon moment. Je m'amuse même beaucoup en sa compagnie. Un moment simple, sans prise de tête et, pour ma part, sans aucun enjeu. Je ne suis pas dans un processus de séduction. Je me fiche totalement de lui plaire ou non. Tout ce que je fais, c'est de m'amuser en restant moi-même comme si je trainais avec un vieil ami.

– Allez, en bon perdant, c’est moi qui offre !
– J'y compte bien ! raillé-je en récupérant mon sac.

L'établissement en question n'est qu'à quelques pas. Il s'agit d'un restaurant indien installé là depuis des lustres. Je l'ai toujours connu. La devanture est la même depuis des années et aurait probablement besoin d'être repeinte. Les couleurs se sont ternies et écaillées par endroits, mais l'on détermine toujours aussi bien le jaune, le orange et le rouge évoquant un coucher de soleil.

J'aime beaucoup ce restaurant. Non seulement la cuisine y est succulente, mais en plus le personnel est adorable. Leur fils, Ishan, faisait même partie de mon groupe au lycée. Je n'ai aucune de ce qu'il est devenu depuis le temps, mais j'espère qu'il se porte bien.

L'on nous installe rapidement à une table en nous proposant le menu. Je reconnais parfaitement la sœur de mon ancien ami, mais visiblement ce n'est pas son cas… Il faut dire qu'à l'époque j'avais une coupe asymétrique et les cheveux teints en roses, violet et noir… Un véritable petit carrousel gothique…

– Si tu aimes les épices, sache que leur biryani de poulet est une vraie tuerie, laché-je avec la ferme intention d'en commander pour moi.

Il ne faut que quelques pas pour se rendre au restaurant en question, un indien chez qui j’avais déjà commandé, mais où je n’étais jamais allé.
Si la façade est un peu défraichie, le personnel se montre super accueillant et nous sommes rapidement installés.
Hailey me recommande le biryani de poulet que je n’avais jamais goûté et je hoche la tête en sentant mes babines qui déjà s’éveillent.

Finalement, ma commande est simple, un Biryani de poulet, un peu de Dhal, quelques samossas, du Mirchi Ka Salan parce que, même si ça arrache, c’est trop bon et de la Raïta pour adoucir un peu le palais.

De mon point de vu, nous avions passé un super moment dans ce temple du retro gaming. Elle paraissait s’être bien éclatée et moi aussi. Bon, elle m’avait bien éclaté aussi, mais ça, c’était tout à fait prévisible.
C’était au final un très chouette moment tout en simplicité, ponctué de rires, voire de fous rires et on s’était allègrement bousculés comme deux gamins.
Moi qui, de façon générale, avais toujours mené une vie plutôt sérieuse, ça faisait un bien fou.

Merci de m’avoir fait découvrir ce coin en tout cas, c’était parfait ! Lançais-je en lorgnant avec appétit sur les plats qui arrivaient à la table voisine. Moi qui devais ruser, plus jeune, pour jouer aux jeux-vidéo, j’aurais adoré connaître cet endroit plus tôt.

Ma commande n'est clairement pas aussi garnie que la sienne… D'ailleurs, je me demande où il peut bien ranger toutes ces calories qu'il ingurgite. Je me contente d'un biryani de poulet, parce que j'adore ça, accompagné d'une soupe de lentilles tout à fait basique et d'un garlic nan que tout le monde déteste en général.

– J'ai eu beaucoup de chance, avoué-je en souriant. Mon père était un vrai gamin, il adorait nous trainer dans ce genre d'endroit. C'est lui qui nous a fait découvrir les jeux vidéos, la musique, les randonnées, le camping… Et la cuisine, mais ça, c'est surtout valable pour Alex. Perso, c'est vraiment pas mon truc.

Je n'ai jamais compris le principe de se casser la tête pendant des heures pour préparer un plat qui sera englouti en quelques minutes… J'aime manger, enfin… C'est un besoin vital après tout, mais pas au point d'apprendre à cuisiner. Je fais partie de ces gens qui peuvent manger tous les jours la même chose sans jamais se lasser. Ce qui n'est, évidemment, pas le cas de mon frère.

– Tu ne t'es pas trop mal débrouillé, pour une première. J'espère t'avoir donné envie d'y retourner.

L'on vient déposer nos plats et cette fois, ce n'est plus Kali qui s'occupe de nous, mais son frère.

– Tiens, une revenante ! me lance-t-il, tout sourire.
– Ishan ! je m'écrie en me relevant pour le serrer dans mes bras. Merde, qu'est-ce que tu fiches ici ?
– Faut bien manger, hein, rétorque-t-il avant de se tourner vers Matthew, la main tendue et sourire. Ishan Patel, un vieil ami, enchanté.
– Pardon, je pensais que tu avais des rêves de graaaaandeur, le taquiné-je en exagérant volontairement le dernier mot.
– Oui, enfin…Mon père est mort il y a deux ans, alors j'ai dû revenir pour aider ma mère, répond-il avec sérieux.
– Merde… Je suis désolée…
– T'en fais pas… En tout cas, je suis ravi de t'avoir revu. Si tu es toujours dans le coin, ça serait sympa de sortir un de ces soirs… Comme au bon vieux temps quoi.
– Avec plaisir !

Nous échangeons – correctement – nos numéros puis Ishan repart travailler. Je présente tout d'abord mes excuses pour l'interruption puis je lui explique qui il est.

– On faisait partie du même groupe de rock au lycée. C'était le bassiste… On s'entendait tous très bien en ce temps là, c'était vraiment cool.